Petit Oasis, un morceau de chair égaré ~

Il est assez compliqué de définir ce que l'on est, surtout quand notre esprit s’égare de la norme. J'ai beaucoup de mal à faire la distinction entre la réalité et la fiction, parfois j'ai l'impression que l'on s'adresse à moi, et ce même si personne n'est à mes côtés. Je pense me trouver dans un monde mais pas à la place où je devrais être. Je me sens décalée d'une demi queue de chat vers la droite, par rapport à la normalité, et j'ai l'impression d'être une patte sous-terre. En somme, ma perception de l'espace temps est altérée et ce, depuis que je suis arrivée à quai. Je me demande si cet endroit est hanté, ou bien moi même. On ne précise jamais aux gens de combien ils sont fous, on constate juste qu'ils ont perdu la boussole, je pense que ce doit être mon cas. Peut-être n'ai-je juste rien à faire là, tout simplement ? On peut dire qu'à cause de ça, j'ai gagné en paranoïa et perdu en confiance vis-à-vis d'autres chats voir même d'autres chatons. D'ailleurs, je ne leur adresse plus la parole depuis que je suis arrivée ici, on ne peut m'entendre que par le biais de mes incessants monologues ou bien lorsque je m'adresse à d'autres animaux. Il n'y a qu'avec eux que je me sens en sécurité, et pourtant je suis obligée d'en manger.

Quand je me vois, j'ai peine à croire que je ressemble vraiment à cela. Mes yeux sont d'un bleu remarquable, aussi lumineux que les étoiles lors d'une nuit sans lune. Comme ceux de ma belle espèce, je suis dotée de quatre pattes, deux à l'avant et deux à l'arrière. Il me semble qu'ils sont de la même taille, d'ailleurs, je suis loin d'être très grande, quand je regarde autour de moi. Me direz vous, je suis plus petite qu'un arbre mais plus grande qu'un brin d'herbe. Je possède aussi un pilier central qui me permet de raccorder tout cela ensemble, un peu comme s'il s’agissait de câblages. Je crois qu'il est composé de mon ventre, de mon dos et de ma queue, cette trinité rayée d'un noir de jais profond sur du marron salissant, s'il ne l'est pas déjà. Mais que dis-je, une seule phrase aurait suffit à me qualifier : je suis certainement la plus belle de ces contrées.

1/30ème de lune :
Une légère brise me réveille en sursaut, et dans le reflet de l'eau, je me regarde comme dans un miroir. La terre ne tremble plus, elle n'est même plus là... Mais ma maman elle, se trouve devant moi, me léchant derrière l'oreille, comme elle me l'a fait si souvent. Je ne peux m'empêcher de contempler l'horizon, louchant sur mon frère malade qui manifestement digère mal notre aventure. Je me tend sur mes quatre pattes en savourant le vent se mêlant à ma délicate fourrure, tout en fanfaronnant. Et oui, je suis fière de savoir marcher, je suis fière de ne plus avoir à téter. Je me sens grandir et cela me fait du bien. Pourtant, quand je regarde mon frère, il ne semble rien avoir de bien, son teint est maladif et il est aussi chétif qu'un rat mort depuis des lustres. Je soupire et n'y prête aucune attention, il n'est qu'un boulet à la famille, de toute façon.

2/30ème de lune :
Je commence à avoir très faim. Sur notre misérable planche en bois mesurant à peine vingt queues de souris, l'eau nous encercle à des truffes à la ronde, comment trouver de la nourriture ? Je ne vais pas tenir longtemps si cela continue. En plus, des gouttes d'eau tombent du ciel, comme si nous n'en n'avions pas assez ! La nature se moque vraiment de nous ! Je trépigne d'impatience, gueulant à qui veut l'entendre mon mécontentement. En attendant, ma mère se plie en quatre pour nous trouver quelque chose à nous mettre sous les crocs. Elle n'est pas assez rapide, qu'est-ce que cela m'énerve ! En plus, les mouettes n'arrêtent pas de hurler. Si seulement je pouvais les attraper, je n'en ferais qu'une bouchée. Mais la nuit arrive et on n'a toujours rien... Je m'en vais dormir sur le sol mouillé, dépitée.

3/30ème de lune :

Mon ventre crie famine et je me lève nonchalamment, un mauvais pressentiment me traversant. Ma mère est debout, alors qu'il fait encore nuit, et elle réveille mon frère à coup de moustaches. Je regarde en l'air, les nuages sont noirs et une lumière jaune transperce le ciel, illuminant tout sur son passage. J'écarquille les yeux et quelques temps après, un bruit me fait sursauter, notre barque chavire. L'eau se déchaine, elle est en colère. Tout bouge autour de moi, il y a d'énormes vagues qui m'emportent mais je sens une pression sur la peau de mon cou, je suis hissée vers le haut. Les yeux humides, je jette un œil à droite, puis à gauche, mon frère à disparu. J'éternue plusieurs fois, puis je m’assoupis instantanément.

4/30ème de lune :
En me levant je crois apercevoir mon frère mais ce n'est qu'une illusion, puis en tournant la tête je trouve un poisson sur le sol en bois. Ma mère se refuse de manger, je n'arrive pas à comprendre pourquoi. J'ai mal à la tête donc je mange sa part, ne voulant rien gâcher. Elle a les yeux fermés, je me dis qu'elle doit dormir. Après tout, notre nuit a été mouvementée. Et puis le temps passe et elle ne bouge toujours pas. Je fourre ma truffe dans son pelage, elle est froide. Je lui demande comment elle va, elle ne me répond pas. Je commence à stresser, je m'énerve, je veux qu'elle me porte de l'attention, elle ne le fait pas. Est-ce qu'elle me fait la tête, mais pourquoi ? Je n'ai pourtant rien fait de mal ? Me blottissant contre elle, je m'endors une nouvelle fois, des larmes perlant sur ma joue.

5/30ème de lune :
Mes membres refusent de m’obéir. Arrivant toutefois à me mettre debout, j'aperçois au loin un bout de terre. La joie pourtant ne m’éprends pas. L'odeur de la carcasse trainant non loin me prend aux narines, je m’essuie le nez et le jette à l'eau. J'observe ma mère et hésite à en faire autant, mais le courage me manque. Depuis combien de temps suis-je là ? Et pourquoi au final ? Je plante mes griffes sur le sol, pour la première fois de ma vie, je ressens de la tristesse. Et pourtant, me voilà arrivée à destination. Mes pattes me transportent jusqu'à la berge, et enfin je me sens apaisée. Je me suis reposée sur un rocher, mais celui-ci est devenu mobile et m'a emmenée je ne sais où. Je me rend compte que le paysage est différent de tout ce que j'ai connu, puis une fois à terre, je remercie le cailloux qui n'était autre qu'une tortue de m'avoir mené jusque là. Je n'ai plus qu'à explorer ce nouveau territoire. [Suite Rp-Zone]